• LU POUR VOUS (LES BLANCS DES ANNEES 50)

    Fervent lecteur des écrits de notre aîné VIEUX VAN, je n’ai pas résisté à la tentation de publier dans notre blog un article qui a retenu ma particulière attention et qui peut vous donner une idée exacte sur la vie au Congo Belge, telle que les anciens l’avaient vécue avant notre indépendance… Sans commentaire de notre part.

    J’ai enregistré sur TV 5 les deux documentaires produits par la RTBF sur la République Démocratique du Congo à l’occasion de la commémoration de ses 50 ans d’indépendance. J’ai bien aimé ce film bien qu’ils n’aient montré qu’une partie des réalités de notre pays. Je n’ai pas envie de revenir sur tous les sujets abordés. Je me contenterai de vous donner mon point de vue sur certaines déclarations qui ont été faites par certains de nos aînés qui ont eu le privilège d’être interviewés par les journalistes belges. Une déclaration a particulièrement retenu mon attention, celle d’un concitoyen qui a affirmé que les Belges ne nous serraient jamais la main. Il est très difficile pour moi de juger des réalités des autres villes et coins du pays dans les années 50.  Cependant, j’ai écouté des témoignages de mes proches et gardé mes propres souvenirs qui me font dire que les Belges et Blancs que j’ai connus ou côtoyé à l’époque ne me donnaient pas l’impression d’être xénophobes.

    Commençons par ma naissance. En 1943, mon père était enseignant de 5ème primaire (terminale) à la Mission catholique de Kimpese. Il y avait là deux prêtres rédemptoristes :  Van Hool, curé en charge de la mission, et Michel Van de Bruck, directeur de l’école primaire, lequel était son grand ami. Ils s’étaient connus au Petit séminaire de Nkolo où papa avait fait ses études secondaires dans les années 30. Ce père. Il paraît que j’ai failli mourir à ma naissance et que c’est grâce aux prières dites par mon père et son ami prêtre que j’ai survécu.

    Dans les années 50, mon père était l’un des responsables du recrutement de la main d’œuvre indigène (M.O.I.) de l’OTRACO à Thysville. Parmi ses supérieurs hiérarchiques figuraient messieurs Dessailles et Bovesse. Ils venaient souvent chez-nous et nous allions souvent chez-eux. J’étais trop jeune pour me rappeler les détails mais mes sœurs et cousins m’ont affirmé qu’ils ont fréquenté les enfants de ces Belges et qu’ils ont même appris à monter à cheval avec et grâce à eux dans les cours arrières de leurs résidences. Ils m’ont même exhibé des photos ! Au camp « clerc », les commis coloniaux avaient ce qu’ils appelaient un cercle, une sorte de  cantine gérée par mon père. Les Belges de l’OTRACO sont souvent venus se joindre aux clercs congolais à l’occasion de certaines fêtes. À Thysville, il y avait une équipe eurafricaine de football !

    Lorsque mon père est tombé dans le coma pour des raisons inconnues, le médecin en chef, le Dr. Renard, qui était aussi son ami, a tout fait pour lui sauver la vie. Les infirmières blanches se montraient très sympathiques avec nous lorsque nous lui rendions visite. Il est resté inconscient pendant une dizaine de jours et il n’a repris connaissance que lorsque le père Michel Van de Bruck, qui se trouvait en vacances en Belgique, est revenu précipitamment pour prier et lui faire toutes sortes de cérémonials qui, aux yeux de certaines personnes, étaient des rituels de magie blanche. C’était en 1951. Je ne pouvais pas bien me souvenir puisque je n’avais que 8 ans. Qui plus est, pendant la journée, moi, j’étais à l’école. Mon père a été obligé de prendre une retraite prématurée et ce sont encore les Belges qui l’ont aidé à se construire une résidence en matériaux durables au village. Mon petit frère, celui qui a suivi Léontine alias Bomengo et qui est mort accidentellement alors qu’il n’avait qu’un an, avait reçu le prénom de Michel. Le père Michel Van de Bruck est resté un ami de la famille jusqu’après l’indépendance. Bien sûr, il avait vieilli et n’était plus actif mais il m’a reçu deux fois dans les années 60 lorsque j’étais de passage à Mbanza-Ngungu en voyageant par route.

    Pendant mes études secondaires, que ce soit au Collège Notre-Dame de Mbansa-Mboma où je les ai débutées (1955-1960) ou au Collège Albert Ier où je les ai terminées ( 1960-1962), j’ai toujours eu des professeurs belges, des pères jésuites. À part les injures ( vaurien, abruti, espèce de cornichon, fainéant, etc.) et la mise à genoux, il n’y a jamais eu des sévices corporels. J’ai connu la bastonnade mais ce fut pendant mes études primaires à l’École Ste-Thérèse de Thysville et ce sont les moniteurs congolais qui frappaient les élèves moins doués ou ceux qui voulaient jouer aux durs. Lorsque, victime d’une vilaine fracture, j’ai été hospitalisé pendant 4 mois à l’hôpital FOMULAC de Kisantu, mon médecin traitant était un Belge. C’est lui qui m’apportait les bandes dessinées des aventures de Tintin (Belgique) et celles de Blake et Mortimer (Angleterre)

    Mes sœurs ont étudié au couvent des sœurs de Thysville. Je me souviens qu’il y a eu des filles mulâtresses dont le père était un Blanc. C’est le cas de Marie-Thérèse Sengo, fille de M. Bravo, un boulanger portugais, future épouse du bourgmestre Georges Gerts Luemba, lui-même fils d’un Belge nommé Gerts et d’une Congolaise cabindaise  Tout cela pour dire qu’il est difficile pour moi de croire que les Blancs que j’ai connus ne serraient pas la main des Noirs ou qu’ils utilisaient l’épithète « nègre » Je ne m’en souviens pas. Par contre, j’ai entendu des patrons traiter leurs ouvriers de macaques et chimpanzés.

    Si je me reporte à Kinshasa, c’est vrai que les quartiers résidentiels des Blancs m’étaient inconnus. Par contre, si je me fie à l’histoire de nos musiciens de l’époque, il appert que des Grecs des maisons d’édition Opika, Ngoma et Loningisa entre autres les ont aidés à se produire en studio et sur disque. Et que dire de Papa Raphaël, à qui nous devons le  Stade Tata Raphaël et de L’École moyenne qui portait son nom ? J’ai aussi connu un joueur belge nommé Maertens, alias Muana Maria, qui a évolué dans le FC Daring et les Lions entre 1956 et 1958, tout cela avant qu’on fit vraiment allusion à l’indépendance du pays. À l’époque, pour moi, les Kasa-Vubu, Lumumba, Tshombe, Kalonji et autres leaders étaient des inconnus ! Certains  fonctionnaires du Bureau de la population indigène et les bourgmestres que j’ai vus d’assez loin, je l’avoue, étaient des Blancs ! Je dois avouer, cependant, que je n’ai pas eu le privilège de fréquenter des Blancs à Kinshasa en dehors de l’école. Sans doute que les Belges de Léopoldville avaient une autre mentalité que ceux des régions ? Au fait, Cardoso, Bemba, Kengo wa Dondo, Seti Eyale, Tala Ngai, Apenela et autres n’étaient-ils pas des fils de Blancs ?

     Et que dire des Belges résidant en Belgique ? Nos joueurs, qui sont allés évoluer en Belgique dans les années 57-59, ont-ils été  discriminés par eux? Je n’en sais rien. Ils sont pourtant légion : Mokuna, Mayunga, Bonga-Bonga, Ndala, Assaka, Mayama, Kialunda, Lolinga, Mushimuana, etc.

    Ma mise au point ne constitue nullement un déni de ce que ce concitoyen a raconté. La race noire a toujours été méprisée, maltraitée et insultée. Ceux qui croient à la suprématie de la race blanche sur toutes les autres n’ont pas tous enterré leurs lubies et préjugés rétrogrades. Il convient seulement de préciser que généraliser n’est pas toujours la chose à faire. Le monde a beaucoup évolué et changé. Les vieux tabous sont de plus en plus enterrés ; les barrières raciales et ethniques tombent graduellement. Imaginez ce que cela fut au temps de la colonisation et de la traite des esclaves ! Rendons donc à César ce qui est à César ! Reconnaissons qu’il y a eu dans les années 50, avant l’accession de la RDC à sa souveraineté nationale, des missionnaires, des éducateurs et des bâtisseurs belges qui étaient différents des autres et n’avaient aucun dédain pour les pauvres colonisés souvent incultes que certains d’entre nous furent.

    Ce que j’essaie de démontrer, c’est qu’officiellement nous vivions une sorte d’apartheid mais qu’officieusement les Belges se rapprochaient quand même de nous que ce soit des collègues de travail pour nos parents ou des prêtres enseignants pour nous. En ce qui concerne les Blancs qui ont fait des enfants avec des Congolaises, ceux qui n’étaient pas des Belges étaient peut-être moins assujettis aux mesures ségrégationnistes ? M. Bravo provenait du Portugal; Benatar et Papa Dimitriou venaient de la Grèce; Maurice Alhadeff, propriétaire d’usine textile et bienfaiteur du F.C. Daring,  était juif. Ce n’est pas pour rien sans doute que le nom de  Cardoso sonne portugais, que Kengo wa Dondo a un père Polonais. Les autres, je ne sais pas !

    Il est, en tout cas, difficile d’expliquer exactement pourquoi la fréquentation entre Blancs et Noirs de l’époque coloniale semble ambiguë au point de ressembler à une sorte de politique de deux poids deux mesures. Sans doute ne le saurons-nous jamais !

    Célestin MANSEVANI

     

     


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